Loyauté ou Justice : un dilemme impossible !

29 juillet 2024 - 00:27 - 740vues
PARLER OU SE TAIRE ?
Le mercredi 17 juillet, comme de coutume, nous prenions le temps de dépouiller les gros titres. Le cauchemar appelé dissolution laissait tristement place à une énième affaire de violences sexuelles. Soucieux de prévenir toutes tentatives de débordement en leur sein, Emmaüs International, le mouvement Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre ont commandé une enquête en 2023 qui a donné lieu à un rapport, ceci faisant suite à l’alerte d’une victime. Ce rapport fait écho à celui de la Commission Sauvé en 2021, qui estimait à 300 000 le nombre de victimes mineures d’agressions sexuelles par des religieux et de laïques. Le séisme est de taille, car, aucun humain n’aurait ajouté à la liste un homme dont la réputation semblait autrefois intouchable.
Et ce n’est pas n’importe lequel des religieux qui se retrouve sur le banc des accusés. Celui qu’on appelait avec admiration « le petit pape des pauvres » est mis à nu. L’expression n’est pas sans pertinence, dénoncé par douze femmes, d’agressions sexuelles et de comportements inadaptés, Henri Grouès, alias l’Abbé Pierre, fut une figure respectée de la générosité et du service aux pauvres.
En France, un enfant est victime de viol ou d’agression sexuelle toutes les trois minutes, cela fait 160 000 victimes chaque année. 84 000 victimes de violences sexuelles hors cadre familial sont reportées aux services de sécurité (cf. chiffres de 2023). 55 000 personnes ont été mises en cause pour des infractions sexuelles, dont 96% étaient des hommes, dont 28% sont mineurs. Malgré ces chiffres alarmants, seulement 2% des personnes de 18 à 74 ans victimes de violences sexuelles hors cadre familial portent plainte auprès des forces de sécurité. Cela souligne le difficile choix pour les victimes, surtout quand les faits sont prescrits.
Aborder ce sujet sans stigmatiser une religion demeure délicat. Nous souhaitons prendre notre plume et en discuter à cœur ouvert. Si le fait n’est pas nouveau, il a ceci de singulier, l’accusé nous a quitté il y a dix-sept ans. Les premiers témoignages remontent à 1970. C’est alors un demi-siècle de silence qui sépare le portrait de l’engagé pour une société meilleure, de la réalité de son comportement.
SE TAIRE, UN CHOIX CORNÉLIEN
Dans la mort, ne dit-on pas qu’il faut à tout prix montrer du respect pour la personne, et surtout pour ce qu’elle représentait ? Loyauté des victimes contre Justice.
Respect pour la personne décédée ? Salir la mémoire d’un être est considéré comme une atteinte profonde à sa dignité et à son honneur. Parler dix-sept ans après la mort de quelqu’un implique qu’il ne puisse se défendre contre des accusations ou des critiques. Certains diront que les victimes auraient dû épargner les proches, les collaborateurs, et enfin, la communauté déjà fragilisée par les scandales. D’autant plus que, l’abbé Pierre s’est illustré par des actes d’une générosité indéniable. Oui mais à quel prix !
Moralité et éthique, valeurs sociales et religieuses, de vrais casse-têtes ! Le respect du mort répond à un système éthique dans lequel on pratique l’extension de sa réputation dans l’au-delà. Nous croyons, pourtant, que ceux qui l’admiraient ont oublié qu’il était un être humain, un pêcheur aux yeux de Dieu capable d’erreurs graves. Sans minimiser les faits, ce n’est pas salir sa mémoire que de tenter de rétablir le fait qu’il ait été contraint par la nature humaine dont nous sommes aussi des participants, à éprouver des passions basses. En revanche, qu’il ait exprimé ses envies par le biais d’actes inadaptés, par des gestes lourds de conséquence, en s’imposant par des violences délictuelles, est inadmissible. Ayons une pensée pour toutes celles qui ont abandonné la foi pensant que Dieu « leur avait fait ça ».
Impossibilité de défense ? Si les dénonciations posthumes sont unilatérales, elles ont le mérite d’empêcher que les faits soient enterrés avec l’oppresseur en lui laissant sa réputation intacte sur la terre des vivants. En recueillant dans un espace sécurisé les témoignages de ces femmes éprouvées, Véronique Margron, prieure provinciale de France des Sœurs de charité dominicaines de la présentation de la Sainte Vierge, a regardé plus loin que la mort, pour aider les victimes, elles vivantes. Hélas, aujourd’hui, la responsabilité repose désormais sur ceux qui savaient. Parler ! Par la parole, revivre !
Chaque dénonciation contribue à sensibiliser le public sur la gravité et la prévalence des agressions sexuelles. Le but ultime : encourager un changement dans les attitudes et les comportements sociaux, favorisant une culture de tolérance zéro envers les violences sexuelles. Franchir l’impossible regard des autres, vaincre la peur sans nuire et parler, c’est le grand mérite des victimes. Elles font face au scandale pour mettre à mal de véritables monuments absolus à l’intérieur de leur communauté, d’autant plus si l’oppresseur a été désigné personnalité préférée de la société.
Le sentiment de honte change de camp.
L’inscription de la protection des victimes dans le droit fut un parcours long et difficile. « Hosties » était le premier mot pour définir, les victimes, créatures silencieuses offertes au destin. L’image est forte. N’est-ce pas ce « corpus Christi », obole de pureté, victime expiatoire proposée aux ouailles au cours de la communion au nom d’un évangile libérateur ? Le symbole admet la comparaison. La victime se taisait car elle n’avait nulle part où se dire. Le destin ne pouvait lui offrir la possibilité de s’exprimer sur son sort. Donc, au-delà des images dans lesquelles sont figées les personnes qui ont vécu un malheur, il faut du courage pour mettre à jour la vérité. La victime n’est pas simplement un témoin soumis à la pression médiatique ou des institutions, elle est le moyen par lequel on peut tous se reconstruire.
La restauration et protection des autres.
Revenons à Véronique Margron. Théologienne, moraliste et présidente de la Conférence des religieuses et religieux en France admet le caractère indispensable de la reconnaissance de victime sans aucun doute, pour une « justice restaurative ». C’est d’ailleurs la solution que propose la Commission reconnaissance et réparation mise en place en 2021, pour faire toute la lumière sur des faits frappés de prescription, offrir une réparation aux vivants. L’objectif est de comprendre ce qui a pu arriver, qui a gardé le silence et pourquoi, faire le point sur les vocations de ceux qui ont commis ces faits, enfin de faire des recoupements dans l’incohérence de leur parcours.
Et toute la différence est là. Dénoncer, outre de rechercher une quelconque justice humaine renforçant ainsi la confiance du public dans les institutions juridiques, permet un sentiment de fermeture, de soulagement et de résolution indispensables. En sortant du silence, les victimes nous permettent de comprendre l’ampleur de ce problème, de reconnaître ses impacts, et ensemble de lutter pour que cela ne soit pas une fatalité dans notre société.
Et si on revenait aux enseignements bibliques ?
Le point de tension est celui d’une tradition qui ne trouve pas son origine dans le texte sacré. La pratique du vœu de chasteté est un idéal pour le clergé. Se pourrait-il qu’il faille revoir ces positions rigides pour faciliter une vie sur terre qui répond fatalement de ses réalités ?
Aujourd’hui, le mot d’ordre est à la guérison et à la reconstruction, à l’aide des professionnels spécialisés, des avocats, et des associations. Processus long et douloureux, le chemin vers le bien-être et la confiance est possible. L’éducation, la sensibilisation, la prévention sont cruciales. Elles sont les ressources et le changement social, pour éduquer le public sur les comportements inappropriés.
A notre niveau, nous partageons l’effroi et le sentiment de trahison qu’ont pu ressentir ces femmes et nous leur apportons notre soutien le plus respectueux.
L. ROGER
BLUE MELODY SCHOOL RADIO
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Sources :
- https://www.mediapart.fr/journal/france/170724/un-rapport-accuse-l-abbe-pierre-de-violences-sexuelles
- https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/07/17/l-abbe-pierre-accuse-d-agressions-sexuelles-ce-que-disent-les-temoignages-de-sept-femmes
- Violences sexuelles envers les femmes : les statistiques pour 2023 | vie-publique.fr
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